DESTITUTION DES MAIRES

L’épée de Damoclès sur la tête de nos élus locaux

La destitution des maires en Afrique est un phénomène qui a gagné en importance avec le temps. Elle met en lumière les défis de la gouvernance locale, les tensions politiques et les problèmes de gestion au niveau municipal. La dernière en date est celle de Barthélémy Dias,  maire de Dakar, qui continue d’interroger sur  la protection juridique, judiciaire et politique de nos élus locaux.

Barthélémy Dias, a été démis de ses fonctions le vendredi 13 décembre 2024. C’est la conséquence  d’une décision administrative après une demande formulée par un citoyen, en invalidation de son élection comme maire de Dakar. Le code électoral stipule en effet, en ses  articles 29 et 30 que  « toute personne condamnée définitivement pour certaines infractions est déclarée inéligible. » La célérité inhabituelle de cette destitution aux allures d’une opération de « vidage » en rajoutait à l’étonnement général. Condamné en 2014 par le tribunal correctionnel de Dakar , il a été  reconnu coupable de violence volontaire ayant entraîné la mort d’un jeune militant du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) en 2011. Cette affaire a refait surface après plusieurs années alors que Barthélémy Dias, devenu une figure centrale dans la politique au Sénégal affichait par ailleurs, de profondes  dissensions avec Ousmane SONKO, actuel premier ministre du Sénégal. Cet événement a provoqué une onde de choc au sein de son entourage politique mais aussi parmi ses partisans. Pour eux, ce n’est rien d’autre qu’une manœuvre politique visant à éliminer un concurrent de taille de la scène politique Sénégalaise. L’opposition parle même d’une atteinte à la volonté populaire, arguant que la décision du préfet allait à l’encontre des principes démocratiques. Eternelles récriminations face à un phénomène tout aussi récurrent. En mars 2017, Khalifa Sall, maire de Dakar a été destitué puis emprisonné pour «détournement de fonds publics». Djimet Ibet, la mairesse de N’Djaména,  a été suspendue de ses fonctions en 2016 pour «mauvaise gestion». En cause, l’explosion de la masse salariale de la mairie avec 150.000 euros.

En 2018, face à la destitution en série des maires au  Bénin,  l’éminent constitutionnaliste Joël Aïvo affirmait : «  que le Bénin aura destitué plus de maires en moins de deux (02) ans que la France n’aura destitué en un demi-siècle. » Dans ce pays pourtant réputé pour sa longue pratique de la décentralisation ainsi que la solidité de ses institutions, démettre un maire était devenu un exercice banal.

On se souvient encore de l’éviction des Maires Léhady Soglo et Sévérin Adjovi, respectivement à Cotonou et Ouidah. Ils étaient pourtant des figures de proue de la politique Béninoise. En Cote d’Ivoire, Arsène Roger GAH, maire de Bangolo a perdu son siège après son arrestation en 2024, dans un contentieux financier avec un opérateur économique. Autant d’exemples qui mettent en évidence la fragilité  de la protection juridique et judiciaire  des maires africains. Dans le cadre de leurs  fonctions, notamment en ce qui concerne la gestion des affaires locales, les élus locaux sont exposés à des risques d’erreurs   administratives, juridiques et de gestion des ressources publiques, etc. Ils peuvent être également sujets à des pressions politiques. Dans un contexte général où la superpuissance du pouvoir central n’est plus un secret,  le risque est réel quant à la tentation de manipuler les instruments  judiciaires au profit d’enjeux politiques parfois inavoués. La plupart des cas sus-énumérés n’échappe pas à cette dynamique. Il urge donc que les législateurs réfléchissent à renforcer la protection  juridique des élus locaux en initiant des lois à cet effet. Dans plusieurs pays africains, les membres du gouvernement ne peuvent être poursuivis que par la haute cour de justice, après des procédures souvent fastidieuses. Les députés, grâce à leur immunité sont protégés. Et pourquoi donc pas les maires qui sont dans l’opérationnel au quotidien, avec tous les aléas qui vont avec ? Il faut, par ailleurs, travailler à garantir l’indépendance du système judiciaire dans nos états afin que les poursuites judiciaires contre les élus locaux soient menées de manière impartiale et transparente. En amont, les maires consolideront leurs assises en gagnant davantage la confiance et l’estime de leurs électeurs. Cela passe par la bonne gouvernance et la promotion de la participation citoyenne dans la gestion des affaires communales.

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